συνέντευξη - entretien

09/12/2007

L'éternité du présent

De la fenêtre j'observe la circulation
des voitures se garent dans le vide
ou s'empressent d'aller au devant
de leur collusion.
Le monde indéterminé
me semble flou
comme si j'avais été aveuglée par la vapeur
d'une marmite lointaine
où dans son jus
bouillonne le malheur de la création.
La séduction qu'exerçaient les corps
où est la séduction ?
Comment la mémoire blessée
comptera-t-elle les absences ?
La vie a-t-elle changé de contenus
ou bien mon visage n'offre-t-il plus
suffisamment d'avenir désormais
pour y être inclus ?

Jamais autant de questions
n'alourdissaient les poèmes
jamais l'imagination
n'avait omis de me donner
autant de réponses.
De très rares descriptions de nature
désormais dans les vers ;
c'est parce que je me concentre entièrement
afin d'imaginer
le visage que me promettra
l'éternité du dernier présent
pour un instant.

in "Dans le ciel du rien avec moins que rien", 2005, Kastaniotis.
Traduction Marie-Laure Coulmin Koutsaftis

Pénélope dit

And your absence teaches me
what art could not
Daniel Weissbort
Je ne tissais pas, je ne tricotais pas,
c'est un texte que je commençais, et je l'effaçais
sous le poids des mots
parce que l'expression parfaite est empêchée
quand l'intérieur est oppressé de douleur.
Et tandis que l'absence est le thème de ma vie
-l'absence de la vie-
surgissent sur le papier des pleurs
et la souffrance naturelle du corps
qui est en manque.
J'efface, je déchire, je nie
les cris vivants
"où es-tu, viens, je t'attends
ce printemps-là n'est pas comme les autres"
et je recommence au matin
avec des oiseaux neufs et des draps blancs
à sécher au soleil.
Tu ne seras jamais là
avec le tuyau à arroser les fleurs
alors que les vieux plafonds dégoulinent
chargés de pluie
et que ma personnalité s'est diluée
dans la tienne
tranquillement, comme en automne...
Ton coeur d'exception
- d'exception parce que je l'ai choisi -
sera toujours ailleurs
et moi je continuerai à couper avec des mots
les fils qui me relient
à l'homme particulier
qui me manque
jusqu'à ce qu'Ulysse devienne symbole de Nostalgie
et qu'il arpente les mers
dans l'esprit de tout un chacun.
Je t'oublie avec passion
chaque jour
pour que tu te laves des péchés
de la douceur et de l'odeur
et que, tout propre désormais,
tu entres dans l'immortalité.
C'est un travail difficile et ingrat.
Mon seul salaire sera de comprendre
à la fin quelle présence humaine
quelle absence
ou bien comment fonctionne le moi
dans tout ce désert, dans tout ce temps
comment le lendemain ne s'arrête pour rien au monde
le corps se répare sans cesse
se lève et se couche
comme si on le taillait
tantôt malade et tantôt amoureux
en espérant
que ce qu'il perd en contact
il le gagne en substance.
"Les papiers épars de Pénélope", 1977
in "Poèmes 1963-1977", Kastaniotis.
Traduction Marie-Laure Coulmin Koutsaftis

Dans le ciel du rien avec moins que rien

Par le trou de la serrure j'épie la vie
je l'espionne des fois que je comprenne
comment elle gagne toujours elle
alors que nous perdons toujours nous.
Comment les valeurs naissent
et s'imposent sur ce qui se dissout en premier :
le corps.
Je meurs dans mon esprit sans un signe de maladie
je vis sans avoir besoin d'encouragement aucun
je respire même si je suis
à une proche distance lointaine
de toute chose chaude touchable, inflammable ...
Je me demande quelles autres combinaisons
la vie va inventer
entre le trauma de la disparition définitive
et le miracle de l'immortalité quotidienne.
Je dois ma sagesse à la peur ;
fers, soupirs, nuances
je jette.
Terre, air, racines je garde ;
que s'en aille le superflu je prétends
que j'entre au ciel du rien
avec moins que rien.

"Dans le ciel du rien avec moins que rien", 2005, Kastaniotis.

Traduction Marie-Laure Coulmin Koutsaftis

L'autre Pénélope

A travers les oliviers vient Pénélope
avec ses cheveux attachés à la va-vite
et une robe achetée au marché
bleu marine avec des petites fleurs blanches.
Elle nous explique que ce n'était pas par dévouement
à l'idée "Ulysse"
qu'elle laissait les prétendants pendant des années
attendre sur le parvis
des habitudes secrètes de son corps.
Là-bas dans le palais de l'île
avec les horizons factices
d'un amour doucereux
et l'oiseau qui par la fenêtre
ne conçoit que ça, l'infini
elle avait dessiné elle-même avec les couleurs de la nature
le portrait de l'amour.
Assis, une jambe croisée sur l'autre
tenant sa tasse de café
matinal, un peu boudeur, un peu souriant
sortant tout chaud des plumes du sommeil.
Son ombre sur le mur
marque d'un meuble qu'on vient juste d'enlever
sang d'un meurtre ancien
unique représentation de théâtre d'ombre
sur la toile, derrière lui toujours la douleur.
Inséparables, l'amour et la douleur
comme le petit seau et le gamin sur le sable
le ah ! et un cristal qui nous glisse des mains
la mouche verte et l'animal tué
la terre et la bêche
le corps nu et le drap en juillet.

Et Pénélope qui écoute maintenant
la musique suggestive de la peur
les percussions de la démission
le doux chant d'une journée tranquille
sans changements brutaux de temps et de ton
les accords compliqués
d'une immense reconnaissance
pour ce qui n'a pas été, n'a pas été dit, ne se dit pas
secoue la tête non, non, non, pas d'autre amour
plus de paroles et de chuchotements
de frôlements et de morsures
de petits cris dans l'obscurité
d'odeur de chair qui brûle à la lumière.
Le sanglot était le prétendant le plus exquis
et elle lui a fermé sa porte.

Traduction Marie-Laure Coulmin Koutsaftis

"Ωραία έρημος η σάρκα", in "Ποιήματα 1986-1996", Kastaniotis.